Histoire : les béates — Ensemble Paroissial Saint-Joseph en Velay

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Sainte-Sigolène | Saint-Pal-de-Mons | Les Villettes<span>Ensemble paroissial Saint-Joseph en Velay</span>
Menu

Histoire : les béates

A Sainte Sigolène, comme dans la majorité des paroisses vellaves, le réseau de l'instruction primaire était complété par les « maisons d'assemblée » tenues par les « béates ».
Bien qu'elles fussent officiellement supprimées en 1882, de nombreuses béates restaient en activité, et ceci, à la grande indignation des autorités départementales.

II- Face à l’isolement des

 

hameaux : les Béates

 

 

 

A- Implantation et fonctions originelles des

béates

 

Les écoles de hameaux illustrent le déséquilibre qui existe entre le réseau scolaire du bourg, tissé autour des congrégations et les campagnes où l’instruction recouvre des formes diverses. Si vers 1820 « les petites filles du chef-lieu trouvaient dans la communauté des Sœurs de St Joseph une éducation solidement chrétienne, (...) les enfants disséminés dans les nombreux hameaux de la paroisse étaient loin de jouir des mêmes avantages ». Pour résoudre ce problème, le curé Menut, s’appuyant sur la participation des villageois, fit construire des maisons d’assemblée dans neuf hameaux. En 1830, cinq maisons d’assemblée sont déjà installées dans les hameaux éloignés du chef-lieu où, selon la municipalité, « la jeunesse va prendre connaissance et l’amour de ses devoirs ». Les autres béates s’installent progressivement dans les villages de la paroisse des années 1840 au début de la décennie 1850.
En juillet 1902, un rapport bien documenté et clairvoyant de l’inspecteur académique de Haute-Loire retrace l’implantation des Filles de l’Instruction dans le département :

« Au milieu du XVII ème siècle, un prêtre de Saint Sulpice, M. Antoine Trouson, curé de la paroisse de St Georges et directeur du séminaire du Puy, frappé de la profonde ignorance des femmes et des filles de la classe inférieure, surtout en matière de religion, se proposa d’y remédier. Il rencontra une précieuse auxiliaire dans la personne de mademoiselle Anne Marie Martel, fille d’un avocat de la sénéchaussée du Puy. Vers 1665, celle-ci commence à réunir des femmes de l’hôpital d’Aiguilhe pour les instruire sur la religion. Encouragée par les résultats obtenus, elle réunit les jeunes filles de la paroisse. Ces réunions pieuses s’étendirent aux autres paroisses. C’est là l’origine des « Demoiselles de l’Instruction », institution plutôt laïque à l’origine mais qui sous la pression du clergé finit par se transformer en une congrégation ordinaire et devint la Congrégation de l’Instruction de l’Enfant Jésus ».

Selon l’inspecteur de l’académie de la Haute-Loire, la béate « est un produit naturel du sol, du climat, de l’industrie, des besoins des habitants » :
« La configuration du pays, ses divisions en communes parfois très étendues et subdivisées elles-mêmes en un grand nombre de hameaux (...), la difficulté des communications dans une région très accidentée (...) la pauvreté de la population, son assujettissement au clergé séculier et régulier, résultant d’ailleurs de l’ignorance des habitants, l’éloignement des grands centres et des principales voies de communication expliquent parfaitement comment a pu s’établir, se répandre et se fortifier cette singulière institution . »

Les béates ne sont pas des religieuses : elles ne proclament pas de vœux, ne vivent pas en communauté et ne sont pas affiliées à un tiers-ordre, n’étant pas astreintes à des pratiques de piété particulière. Les seules obligations des béates se résument en une sorte de stage à la maison-mère de l’Instruction et à la participation à des retraites dont les autorités publiques doutent de la régularité. Elles relèvent donc à la fois de la congrégation de l’Instruction de l’Enfant Jésus, du curé de la paroisse et au-delà, de l’évêque du Puy. Les habitants sont la plupart du temps à l’origine de l’implantation d’une béate dans leur hameau : ce sont eux qui lui fournissent le logement et qui la rétribuent en nature le plus souvent (nourriture, chauffage, ...). En mars 1841, André Sovignet, habitant du hameau du Pinet, achète une maison pour y « installer l’école des enfants du village. »

L’objectif originel des Demoiselles de l’Instruction était de former à destination des hameaux des sortes d’institutrices « dont la mission consisterait à apprendre à lire aux jeunes filles pour que celles-ci puissent étudier le catéchisme ». L’institution des béates n’a nullement en vue l’instruction proprement dite mais majoritairement l’instruction religieuse. L’inspecteur académique écrit que « le caractère d’institutrice était subordonné chez la béate à son caractère de catéchiste. » Si les Demoiselles de l’Instruction se consacraient à l’instruction des femmes et des filles des villes, les béates étaient vouées à marquer pendant plus de deux siècles et demi l’existences des campagnes altigériennes. Auxiliaires du curé de la paroisse dans les hameaux, elles « président aux prières et aux exercices de piété pour lesquels le prêtre n’est pas indispensable (vêpres, mois de St Joseph en mars, mois de Marie en mai, chemin de croix, ...) ».
L’histoire des béates est liée au développement dans le Velay de l’industrie de la dentelle dont St François Régis fut l’un des fervents propaganteurs. Ces pieuses filles se chargèrent de diffuser ce savoir-faire en réunissant dans des granges « des chambrées d’ouvrières en dentelle où le temps se passait en travail de broderie, à la lecture du catéchisme et de certains livres spéciaux de piété. »

Même si les fonctions des béates étaient précisément établies, elles furent amenées à enseigner la lecture et l’écriture aux jeunes campagnards. Au fil du temps, leur présence se fit de plus en plus forte et la maison d’assemblée devint un lieu de sociabilité incontournable des hameaux.

 

 

B- La maison d’assemblée : « le cercle du

hameau »

 

 

 

Au milieu du XIX ème siècle, le besoin général d’instruction élémentaire amena les béates à développer un rôle d’institutrice. « Recrutées uniquement dans les couches les plus basses de la population, amenées pour la plupart à prendre cette profession moins pour la vocation que par nécessité », il ne fallait pas s’attendre à trouver chez les béates un haut degré d’érudition. Le 25 novembre 1853, le préfet de la Haute-Loire constate que « lire et écrire tel est presque toujours le degré qu’elles possèdent et qu’elles communiquent aux enfants des campagnes ». L’inspecteur de l’académie écrit en 1902 que « l’enfant savait lire quand il connaissait par cœur les livres spéciaux en usage dans les maisons de béates : « L’alphabet chrétien », le « Cher enfant » ou « Conduite pour acquérir et conserver la piété chrétienne » ». Malgré tout, ces efforts pour essayer d’insuffler les rudiments de l’enseignement aux enfants démunis du village étaient louables sachant qu’elles n’avaient reçu aucune formation. En 1850, après la loi Falloux, les béates furent en faveur auprès des pouvoirs publics, mais si ceux-ci vantaient leur dévouement, ils reconnaissaient leur insuffisance au point de vue de l’enseignement. La maison d’assemblée est ainsi une salle d’école mais aussi « la chapelle, l’ouvroir, la garderie dans une certaine mesure et enfin le cercle du hameau ».
D’après le folkloriste Ulysse Rouchon, les béates prenaient une part active dans l’animation et le vécu du village :

« Institutrice, monitrice de dentelle, directrice des promenades, surveillante du dimanche, la béate était aussi sœur de la charité. Dans les courts moments que lui laissait sa principale fonction, elle visitait les malades, les assistait, exécutait ou faisait exécuter les prescriptions du médecin, demandait des secours pour les indigents, fermait les paupières des défunts ».

Si les cloches de l’église paroissiale rythment la vie des habitants du bourg, le petit clocheton de la maison d’assemblée cadence l’existence au hameau :

« Les béates (...) sonnent l’angélus, sonnent la cloche du matin pour appeler les enfants du village à la maison d’assemblée, à 10h pour prévenir les mères de famille qu’il est temps de préparer le repas de midi, à 11h30 pour prévenir qu’il est temps de porter le repas aux ouvriers qui travaillent aux champs, le soir enfin, pour la veillée qui se fait dans la maison d’assemblée et qui est consacrée au travail de la dentelle, à des chants, à des lectures pieuses et aux potins du jour. »

La sociabilité villageoise s’articule autour des maisons d’assemblée. Gilles Chareyron a montré que pendant la période révolutionnaire, les béates et les assemblées de dentellières constituaient « un puissant levier pour la propagation de l’idéologie anti-républicaine », particulièrement dans l’arrondissement d’Yssingeaux. Si les veillées organisées par les béates soulevaient la suspicion la plus complète des pouvoirs publics pendant la Révolution, les choses évoluent au cours du XIX ème siècle. Au début de la décennie 1850, le préfet de la Haute-Loire remarque que « l’influence des béates est salutaire pour la moralité publique », affirmant même que ces filles joueraient un rôle de régulateur social :

« Pendant les longues soirées d’hiver, elles réunissent les jeunes filles dans un local que l’on nomme assemblée, local qui se retrouve dans les moindres hameaux et qui, école le matin pour les enfants, devient aussi le soir un ouvroir. Les jeunes de l’autre sexe ne pénètrent pas dans ces veillées et cette séparation s’étend dans certaines localités jusqu’aux délassements et danses. Le nombre de naissances illégitimes est assez rare dans les campagnes et l’on peut dire qu’en général les mœurs sont d’une certaine sévérité ».

Les populations rurales affectionnaient la présence de cet acteur incontournable de la sociabilité au hameau. A partir de 1880, les béates furent l’objet d’une polémique récurrente entre les partisans de l’école laïque et les fervents supporters de l’école congréganiste.

 

 

C- Vers la disparition des béates

 

Si au XVII ème siècle , les pouvoirs publics pouvaient se contenter des services rendus par les béates ; à la fin du XIX ème siècle, les responsables de la politique scolaire en Haute-Loire insistent sur les carences des béates. Pour l’inspection académique, bien que les béates aient dans une certaine mesure concouru au recul de l’analphabétisme dans les campagnes, elles retardent indéniablement l’implantation des écoles publiques laïques :

« Sous prétexte que l’on avait des béates (...), on jugeait inutile d’établir en Haute-Loire l’enseignement laïc des filles qui s’organisait dans les autres départements. Les partis rétrogrades y trouvaient leur compte et vantaient en termes émus les services rendus par « ces pieuses filles » ».

A partir de 1880, le préfet lie la pénible marche vers la modernité du département à la présence des béates. En imprégnant profondément les mentalités populaires, elles contribueraient à faire de la Haute-Loire « le dernier repaire de l’esprit d’ignorance et de superstition. » L’inspecteur d’académie reprend cette réthorique en 1902 et juge que « les bénies de Dieu » inculquent aux habitants des hameaux une religion d’un autre âge :

« Elles (les béates) ont beaucoup contribué à propager et à maintenir chez les populations rurales des croyances absurdes, un fanatisme d’un autre âge. La religion telle qu’elles la conçoivent et l’enseignement n’a rien de commun avec la vraie religion. Elle consiste uniquement en pratiques extérieures toutes mécaniques, en prières récitées du bout des lèvres et dont toute pensée est absente. »

En 1879, les républicains édifient une véritable politique scolaire. Pour Jules Ferry, « l’instruction, qui est le premier des services publics, doit être tôt ou tard sécularisée comme l’ont été depuis 1789 et le gouvernement, et les institutions et les lois ». L’essentiel de l’œuvre républicaine est de constituer l’enseignement primaire en service public : la gratuité (loi du 16 juin 1881), l’obligation de laïcité (loi du 28 mars 1882) et enfin la loi Goblet (30 octobre 1186) qui ordonne la laïcisation du personnel enseignant sont les principales lignes de force de cette politique.
En 1880, monsieur Guerrier, inspecteur académique de la Haute-Loire essaie ‘de substituer sans secousse une situation légale à l’illégalité la plus flagrante ». Il propose au ministre de l’Intérieur de relever le niveau d’enseignement des béates et de régulariser leur situation. Un inspecteur général, monsieur Leyssenne est ainsi dépêché en Haute-Loire pour inciter les béates à faire une déclaration d’ouverture d’école libre et ainsi se mettre en règle avec la loi du 15 mars 1850. Celles qui n’étaient pas munies d’une lettre d’obédience (qui tient lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’Etat), devront immédiatement en être pourvue. Lors d’une visite de l’inspecteur d’académie à Sainte Sigolène en 1882, il est avéré que toutes les béates se sont conformées à ces prescriptions depuis novembre 1880. Ces béates ont fait une déclaration d’ouverture d’écoles libres. D’après la loi Falloux de 1850, pour exercer la profession d’instituteur primaire, public ou libre, il faut être âgé d’au moins 25 ans et être muni d’un brevet de capacité : en 1882, toutes les béates de Sainte Sigolène sont pourvues de la lettre d’obédience. Pour autant, l’aptitude des béates pour l’enseignement s’échelonne entre le « très faible » et « le passable ». L’inspecteur académique remarque que seule Eugénie Pascalon, béate du hameau des Taillas, est habilitée à préparer un examen, en l’occurrence le Certificat d’aptitude.

Le 18 février 1882, une circulaire ministérielle se propose de « ménager une transition entre situation confuse et irrégulière et une organisation légale et rationnelle (...), et de ne pas rompre sans ménagement (...) avec des habitudes regrettables mais séculaires. » Les béates ayant fait leur déclaration d’école et décroché leur certificat d’aptitude pourront être nommées « directrices publiques soit d’écoles de hameaux, soit d’écoles enfantines ou (...) maternelles » à la condition « de quitter le costume religieux et de prendre le vêtement des femmes du pays ». Si l’on se fie au rapport de 1902, les résultats de cette réglementation furent plus que mitigés. En 1883, sur les 718 béates exerçant en Haute-Loire, 568 étaient congréganistes et 150 laïques. Plus de la moitié des béates n’avaient pas fait la déclaration d’ouverture connue de l’autorité académique. Sachant qu’elles réunissaient plus de 10000 enfants, « quatre possédaient le brevet élémentaire », 83 le certificat restreint des écoles maternelles, alors que 61 seulement pouvaient être considérées comme aptes à l’enseignement».

En 1902, l’inspecteur d’académie remarque que « la situation est encore la même aujourd’hui. » Il analyse les résistances qui contribuent au maintien des béates dans les campagnes altigériennes, expose froidement l’échec de la laïcisation et entrevoit les solutions visant à amener « progressivement mais fatalement (...) la disparition des béates au grand avantage de l’Instruction populaire, du progrès des idées libérales et des institutions démocratiques. » Ne pouvant que difficilement affilier les béates à la congrégation des Demoiselles de l’Instruction, l’inspecteur préconise deux armes pour déraciner définitivement les béates du département de la Haute-Loire. Elles devront se borner à assurer l’instruction chrétienne et ne tenir « qu’une simple garderie de jeunes enfants au-dessous de l’âge scolaire ».
S’il s’avère qu’elles continuent une scolarisation, elles tomberont sous le coup de la loi du 30 octobre 1886 et l’affaire sera portée devant les tribunaux. L’inspecteur académique estime que l’enseignement est la source la plus rémunératrice pour ces « pieuses filles » : elles percevraient de 0,50 à 0,60 F. par mois et par enfant pour les cours de lecture, de 0,75 à 1F. pour une initiation à l’écriture et 1,25F. pour l’apprentissage du calcul. Les empêcher d’enseigner, c’est tarir la source de leurs revenus et ainsi accélérer leur disparition. L’autre moyen est de promouvoir la mise en place d’écoles laïques mixtes dans les hameaux, processus que nous analyserons bientôt.

L’organisation scolaire à Sainte Sigolène est typique de l’arrondissement d’Yssingeaux exposée par Claude Langlois : le bourg abrite trois congrégations enseignantes et hospitalières alors que la sociabilité de neuf hameaux s’articule autour des maisons d’assemblée.
L’ancrage de l’enseignement confessionnel et la présence des béates à Sainte Sigolène explique en grande partie la difficulté qu’auront les pouvoirs publics à introduire et pérenniser l’enseignement public et laïc.