Chapitre 1 : La paroisse et son pasteur — Ensemble Paroissial Saint-Joseph en Velay

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Chapitre 1 : La paroisse et son pasteur

Personnage incontournable du village, le guide spirituel des Sigolénois devient en application du concordat de 1801, un desservant ou succursaliste. L'influence du curé au sein de la communauté paroissiale est considérable : son action pour le village dépasse largement sa mission pastorale. S'il est en charge d'une paroisse, le prêtre est parfois intégré au sein de son diocèse pour des fonctions supérieures.

 

I- La naissance du prêtre concordataire.



Le 20 avril 1802, les 77 articles organiques complétant le Concordat fixaient pour le clergé paroissial deux types de statut. Si les curés ne formaient qu’une minorité du clergé local, les desservants assuraient l’exercice du culte catholique dans près de 31000 paroisses. L’inamovibilité garantie par le statut de curé semble avoir été de mise pour les prêtres de Sainte Sigolène pendant toute la durée de XIX ème siècle.



A- L’apparition du desservant.

Après la Révolution, Bonaparte décide d’opérer une réorganisation des diocèses. Il délègue cette tâche aux Evêques et aux archevêques qui connaissent mieux que quiconque cette institution. Il y eut une réduction considérable du nombre des diocèses, ramené à 50 dans les limites de la France de 1789. De 1802 à 1808, un découpage s’effectue et l’on détermine les cures et les succursales. Conformément au nouveau plan, Sainte Sigolène est érigée en succursale le 28 germinal an XIII et dépend de Monistrol/Loire.
Le Concordat substitue au corps ecclésiastique hétérogène de l’Ancien Régime, «un corps harmonieux d’une terrible rigidité». La hiérarchie du «clergé de second ordre» distingue les curés des desservants. Par souci d’économie, Bonaparte avait limité les cures aux chefs-lieu de canton. Au-dessous des curés cantonaux, on trouve la masse des desservants. Responsables d’une paroisse rurale classée comme succursale, les desservants jouissaient des mêmes prérogatives et des mêmes missions qu’un curé cantonal. Cette hiérarchisation avait pour objectif de ne pas rétablir la puissance qu’exerçait l’Eglise durant l’Ancien Régime. L’article 31 des articles organiques détermine ainsi le statut du succursaliste : «Les vicaires et desservants exerceront leur ministère sous la surveillance et la direction des curés ; ils seront approuvés par l’Evêque et révocables par lui.» Le statut précaire du desservant apparaît évident.

Jean de ROCHEBONNE fut le premier prêtre concordataire en charge à Sainte Sigolène. Il est remplacé en 1812 par Jean-Antoine Henry MENUT. Bien que nous n’ayons pu trouver aux archives départementales de documents concernant l’évolution du statut de la paroisse au cours du XIX ème siècle, il semble que le prêtre MENUT, qualifié de desservant pendant une partie de son ministère, ait acquis le statut de curé dans les vingt dernières années de sa vie. Dans son testament et dans nombre d’archives paroissiales, il est stipulé qu’il est «curé de Sainte Sigolène». Ceci pourrait être un abus de langage mais dans une lettre datée de 1848, il fait part au sous-préfet d’Yssingeaux qu’il a reçu une pension «qu’on ne préconyse pas au curé de canton». Il est vrai que la paroisse de Sainte sigolène compte 3168 habitants alors que l’archiprêtré de Monistrol/Loire recense 3975 habitants. La différence n’est pas significative.

Le niveau de hiérarchie des pasteurs de Sainte Sigolène peut être analysé à travers le passage du statut de desservant à celui de curé de seconde classe.
 


 B- Du desservant au curé de seconde classe

Au cours de la première moitié du XIX ème siècle, la paroisse passe du statut de succursale à celui de cure de seconde classe. Cette promotion se traduit pour les prêtres de Sainte Sigolène par de nombreux avantages en termes de traitement et d’inamovibilité.


1- L’assurance de l’inamovibilité.

Même s’il remplissait les mêmes fonctions qu’un curé, le desservant souffrait de deux handicaps : l’insuffisance de traitement et le risque d’être déplacé au gré de l’évêque.

Le Concordat ne garantit aucune stabilité au desservant puisqu’il est révocable par l’évêque de son diocèse. Au contraire, les curés sont déclarés inamovibles, c’est-à-dire que, «nommés par le gouvernement sur présentation de l’évêque, ils ne peuvent être privés de leur fonction et de leur titre que par une sentence de déposition rendue selon les formes canoniques et confirmée par le Conseil d’Etat». Les canons de l’Eglise et une ordonnance de Louis XIV, datant du 29 janvier 1686,  montraient déjà tout l’enjeu de l’inamovibilité des curés, garant de la stabilité paroissiale.
Seulement 5 prêtres se sont succédés à la tête de la paroisse de 1780 à 1913 et ils n’ont quitté la cure qu’à leur mort.

Noms des desservants et curés                                              durée de leur ministère
Jean de ROCHEBONNE (desservant)                                    1780 - 1812
Jean Antoine Henry MENUT (curé de seconde classe)          1812 - 1853
Claude CUOQ                                                                          1853 - 1867
Pierre BADIOU                                                                        1867 - 1902
Pierre MOREL                                                                         1903 - 1916

Hormis le curé CUOQ, tous les prêtres de Sainte Sigolène qui ont couvert le XIX ème siècle se distinguent par une longévité remarquable : plus de 30, voire 40 ans au service de la communauté paroissiale. Le fait que les curés MENUT et BADIOU aient consacré leur existence à un unique sacerdoce paroissial est fortement apprécié et valorisé par les habitants. Cette permanence caractérise le succès durable du ministère pastoral et «incarne l’essence même du sacerdoce : dévouement, stabilité, expérience des hommes et des lieux et sagesse».
Une cure de seconde classe constitue un poste recherché car elle garantit la sécurité de l’emploi et une rétribution plus importante.
 



2- La condition matérielle des prêtres.



Le traitement des prêtres a subi un profond bouleversement avec la mise en application du Concordat : «La confiscation et la vente des biens de l’Eglise ont provoqué l’abandon de la pratique du bénéfice, rente fondée sur la possession d’un bien et associée à la possession d’un titre curial».
En 1804, Napoléon décide de mettre le traitement des desservants à la charge des communes. Cependant un grand nombre de municipalités connaissent des difficultés pour assurer le traitement du succursaliste. Une délibération du conseil municipal datée du 30 messidor an XI montre que Sainte Sigolène est confrontée à ce problème : «considérant que les revenus de la commune ne suffisent pas, (....) un traitement de 800F pour deux prêtres (un succursaliste et un vicaire) sera prélevé dans la commune d’après l’autorisation du gouvernement». La mairie compte prélever  «la somme sur les habitants de la commune, à proportion de la fortune de chacun». Au début du XIX ème siècle, le mode de paiement du desservant se révèle fragile puisqu’il repose intégralement sur la contribution des habitants. Confronté à ce type de situation aléatoire, il est décidé en 1807 que le Trésor public devra assurer un traitement annuel de 500F aux desservants. En tant que desservant de Sainte Sigolène, Jean Antoine Henry MENUT reçoit bien en 1816 un traitement de 500F. Désormais il est rémunéré par l’Etat comme n’importe quel fonctionnaire.
Au cours de son ministère à Sainte Sigolène, Mr. MENUT accède au titre de curé de canton. Ce titre influe sur sa condition matérielle puisqu’il est rémunéré selon son rang dans la hiérarchie ecclésiastique. Même s’il souffre moins de l’insuffisance du traitement qu’un desservant, le curé MENUT ne s’enrichit que spirituellement au cours de son ministère. Acteur inépuisable de la vie communautaire, il multiplie les dons pour l’installation de bonnes œuvres. Dans une lettre au sous-préfet d’Yssingeaux, tout en montrant qu’il manque de ressources pour achever des projets utiles, il récuse l’envoi d’un mandat qui ne correspond pas à son titre. Il ne veut pas compromettre son intégrité à cause d’un manque d’argent :
«Monsieur le Sous-Préfet, j’ai reçu samedi dernier, deux mandats de paiement de la somme de 2801,25F pour le deuxième trimestre de mon traitement annuel de 1100F, étant âgé de 80 ans, et la somme de 267F d’une pension qu’on ne préconyse pas au curé du canton. Je vous renvoye un de ces mandats, parce que non bis in indem. Je ne veux pas être accusé de prendre deux montures dans mon sac (....)».
L’article 14 de la Convention du 26 Messidor an IX (15 juillet 1801), rendu exécutoire par la loi du 18 germinal an X, annonce le mode de traitement des curés : «Le gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription nouvelle». En tant que curé de seconde classe, Pierre BADIOU, installé à Sainte Sigolène depuis le 20 août 1967, perçoit un traitement annuel de 1100F. Celui-ci est versé par le ministère des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique.
Devenu un fonctionnaire payé chaque trimestre, le curé de Sainte Sigolène doit cependant compléter son traitement par une rémunération à l’acte, appelée le casuel. Baptêmes, mariage, messes et enterrements constituent un salaire d’appoint non négligeable, d’après un tarif élaboré par l’évêque du diocèse et approuvé par le gouvernement. En 1867, une paroissienne de Sainte Sigolène lègue à la Fabrique 200F dont la moitié est consacrée à des honoraires de messe : «Quant aux cent francs pour honoraires des messes, monsieur le curé s’engage à les acquitter, ou à les faire acquitter au tarif fixé par le diocèse pour les messes basses qui est de 1F50 centimes». Le curé BADIOU précise que «c’est dans le courant du mois de janvier qu’on fait rentrer le casuel du nécrologe. Le prix est de 1F50 par famille».
Ce mode de rétribution est dans l’esprit des ministres du culte catholique, un droit qui doit suppléer à la modicité émanant de l’Etat. Le prêtre de Sainte Sigolène apparaît plutôt bien loti : d’après la visite pastorale de 1893, le total exact des ressources pécuniaires du curé Pierre BADIOU s’élèvent à 2600F, soit plus du double du traitement versé par l’Etat. On est loin du tableau misérabiliste de certaines biographies de prêtres du XIX ème siècle.
Certains curés peuvent bénéficier de pensions, également accordées par l’Etat. Un décret du 13 thermidor, an XII (1 août 1804) préconise la formation d’une caisse de secours pour les ecclésiastiques âgés et infirmes, financés par le 1/6 du produit de la location des bancs et des chaises installés dans les églises. La solidarité envers les prêtres âgés ou infirmes n’apparaît dans les comptes de la Fabrique qu’en 1876. Il est à noter que la participation de la paroisse à cette caisse ne correspond qu’au I/10 du montant du produit de la location des bancs et chaises.

Le Concordat amène à une fonctionnarisation du clergé paroissial : après avoir prêté serment de fidélité, l’Etat lui assure une rétribution puis une pension. Au plan juridique, le prêtre est placé sous l’étroite dépendance de l’Etat mais aussi de l’évêque, sorte de «préfet violet». Les plus hauts pouvoirs spirituels et temporels du pays s’entendent pour nommer un prêtre dans une succursale ou une cure vacante.



3- Des règles de succession clairement

définies.

N’ayant pu consulter le «registre du personnel du diocèse du PUY en VELAY» conservé aux archives diocésaines (non encore classées à ce jour), nous ne pouvons retracer la biographie et le mécanisme de succession des prêtres de Sainte Sigolène. Pour avoir un aperçu des rouages administratifs qui entourent une nomination au poste de curé de seconde classe, nous nous sommes appuyer sur les travaux réalisés par Blandine Guichard pour la paroisse de Saint Genest Malifaux.

Lorsqu’un ecclésiastique accède à une nouvelle fonction, des renseignements sont pris sur lui pour savoir s’il est apte à assumer les nouvelles responsabilités. Ces informations sont fournies par des relais du pouvoir civil (maire, juge de paix, préfet, ...) connaissant la paroisse où l’ecclésiastique a exercé. Le remplacement du prêtre se fait rapidement pour que la continuité soit respectée. Le rôle de l’évêque dans la succession est capital puisque c’est lui qui choisit le remplaçant. Après s’être renseigné sur la valeur et l’intégrité du nominé, le préfet donne ou non son approbation par décret. L’article 19 de la loi du 18 germinal, an X (8 avril 1802) défend aux évêques de manifester publiquement leur choix avant qu’ils aient obtenu l’agrément du gouvernement. Le secret permet d’éviter de brutales désillusions aux prêtres dont la nomination a été refusée. Conformément au concordat, le curé nouvellement nommé doit prêter serment au gouvernement.

Les curés de Sainte Sigolène ne s’inscrivent pas dans le mouvement de rajeunissement du personnel ecclésiastique, visible jusqu’aux années 1870-1880. Né en 1768, Jean-Antoine Henry MENUT est nommé en 1812 desservant de Sainte Sigolène à la mort de Jean Rochebonne, après avoir occupé un poste de vicaire à l’archiprêtré de Monistrol/Loire. Il ne quittera sa terre d’adoption qu’en 1853, à l’âge de 85 ans. Pierre BADIOU, après avoir été vicaire de Salettes, Tence et Yssingeaux, prend la tête de la paroisse de Sainte Sigolène en 1867 et ne la quittera qu’à sa mort, en 1902, à l’âge de 80 ans. Il suit donc une carrière cléricale exemplaire : humble vicaire de Salettes puis du chef-lieu d’arrondissement Yssingeaux, son accession à «la bonne cure» de Sainte Sigolène consacre un cursus quasi idéal.
Les desservants de Sainte Sigolène au XIX ème siècle sont en général originaires du milieu rural : Jean-Antoine Henry MENUT est né à Champclause (Loire), Claude CUOQ à Dunières (Haute-Loire) et Pierre BADIOU au Monastier/Gazeille (Haute-Loire). Leurs racines rurales leur permettent de nouer un contact fort avec les paroissiens.

A Sainte Sigolène un profond respect entoure le personnage du curé. Chef spirituel et conscience morale de la communauté, le prêtre ne se cantonne pas au champ religieux, il intervient régulièrement dans les domaines du temporel.



II- Le prêtre, une autorité sociale et

éducative.

Philippe Boutry fait remarquer dans sa thèse que «les ecclésiastiques jouissent au gré des situations locales et selon leurs capacités personnelles (...) d’un statut inégal.» Le prestige qui se dégage des prêtres comme le curé Menut émane de leur implication au sein de la paroisse comme de la commune. Cette volonté d’être à l’écoute du peuple fait d’eux des personnages écoutés et vénérés.


A- Un investissement complet dans la vie communautaire villageoise.

Le  curé n’est pas seulement un directeur de conscience pour les habitants, il est directement engagé dans les affaires profanes du village. Dans le Velay oriental, l’agriculture de subsistance n’impose pas aux paysans de contacts réguliers avec l’extérieur. Gilles Charreyron s’est aperçu que cette situation a pour effet de «renforcer l’influence de l’élite locale sur la collectivité rurale et particulièrement celle du curé, souvent le plus notable, instruit et éclairé des habitants». Il remarque que pendant la Révolution des officiers ont souligné le rôle incontournable du pasteur de la commune. L’agent national du district de Monistrol/Loire. montre bien que «les prêtres ont jusqu’à présent gouverné les municipalités, car dans la plupart des paroisses, ils se trouvaient les seuls en état de faire les opérations dont les officiers municipaux étaient chargés (...)».
Si à la fin de l’Ancien Régime, le prêtre était une autorité sociale au village, il n’a aucunement perdu ses prérogatives temporelles au cours du XIX ème siècle. En 1841, le sous-préfet d’Yssingeaux souligne «l’esprit de corps très prononcé, la bonne discipline et l’influence marquée dans la population» du clergé de son arrondissement. Il remarque aussi qu’il est «généralement disposé à s’emparer de la direction des affaires dans les communes». Les compétences du curé ne se limitent pas à la tenue de l’état civil et aux renseignements qu’il fournit aux autorités civiles et diocésaines sur l’état et les besoins de la communauté.

Un processus de modernité spatiale s’enclenche au XIX ème siècle avec la construction et la reconstruction des ponts. La réparation du pont de la Tour, reliant Sainte Sigolène et Grazac à des fins commerciales (transport de grains, de bestiaux, de houille, ...) date de 1813. Après maints démêlés avec les municipalités de Monistrol/Loire. et de Sainte Sigolène, la reconstruction du pont de Chazeau est décidée en 1844. Le curé Menut participe à ce mouvement en finançant avec ses propres deniers «le chemin de Vaubarlet» qui facilite les communications avec Grazac et Yssingeaux. La lettre qu’il envoie au sous-préfet d’Yssingeaux montre que le curé Menut consacrait une partie des secours accordés par l’Etat au personnel ecclésiastique âgé mais aussi à l’effort de vicinalité de la commune sigolénoise.

«Monsieur le marquis de la Fressange, pour me faire retrouver ma pension qu’on précomptait sur mon traitement, me faisait obtenir tous les ans du Ministre des Cultes un secours de 200F dont le dit mandat m’est parvenu par vous, et vous savez que je le destinais en partie au jardin des Frères et en partie au chemin de Vaubarlet».
Monsieur le curé Menut concourt à la construction du pont de Vaubarlet qui permettra aux habitants d’élargir leur horizon quotidien au-delà de l’enclave paroissiale. Soucieux du bien-être matériel de ses ouailles, il est un fervent du pont sur la Dunière, qui éviterait bien des accidents mortels. Le 11 octobre 1847, il assiste à la cérémonie de la pose de la première pierre en compagnie des maires du canton et du représentant du sous-préfet d’Yssingeaux et procède à la bénédiction du pont : «Avant de procéder à la pose de la première pierre, M. Menut, curé de Sainte Sigolène, après avoir adressé quelques paroles touchantes et pleines d’intérêt aux assistants, a béni la première pierre de taille». Jean Chevalier fait remarquer que c’est «le seul pont du département de la Haute-Loire (du XIX ème siècle) dont la construction a commencé par la cérémonie de bénédiction de la première pierre comme cela se passait au Moyen-Age.»
Préoccupé par les enjeux de la scolarisation et de l’assistance, le curé Menut pourvoit Sainte Sigolène de deux congrégations et d’un établissement de charité.


B- L’introduction des congrégations et du Bureau de bienfaisance.

L’implication économique du curé dans les œuvres qu’il souhaite voir ériger dans la paroisse est indéniable. Il demande au sous-préfet d’Yssingeaux d’intercéder en sa faveur pour le maintien d’une pension et lui promet «d’en faire le même emploi dans l’intérêt de la commune  dont j’ai consacré mes épargnes depuis 37 ans pour y fonder des établissements utiles».

Au début des années 1820, «encouragé par les suffrages de l’évêque du Puy et par la prière des notables de la paroisse», le curé de Sainte Sigolène sollicite les dons d’âmes pieuses pour édifier un «monument de charité» dans lequel «les veuves, les orphelins et les pauvres recevront des secours spirituels et temporels». La première pierre de l’établissement «fut posée par monsieur le baron DUGAS du VILLARD, maire de la commune, le 29 septembre 1824».
En 1826, le pasteur appelle à la direction de cette nouvelle institution paroissiale «dix jeunes filles» qui prennent le nom de Sœurs de Sainte Marie. Le curé Menut leur confie le soin «de se dévouer au service des malades et de devenir les secondes mères des orphelins et des enfants pauvres auxquels elles donneront une éducation chrétienne». Pour que les visées charitables de l’établissement soient dûment observées, Monsieur Menut cherche en 1826, avec l’aide du religieux Ferdinand CUOQ, à récupérer les constitutions de l’ordre des Dames de Lorette pour les mettre en application à Sainte Sigolène. En effet, les Dames de Lorette «retirent les jeunes personnes dans leur maison pour les soustraire au scandale et au mauvais exemple, leur donnant une éducation convenable (...) loin d’un monde contagieux.» Cette demande illustre la quête de perfection qui anime le curé Menut. Ses efforts seront vains et les religieuses adopteront finalement l’habit et les constitutions des Sœurs de la Croix, congrégation enseignante qui vit le jour en 1625 sous l’impulsion de Pierre GUERIN et de Marie de VILLENEUVE. Un an après, d’après l’Echo paroissial de Sainte Ssigolène, elles «faisaient profession entre les mains de monsieur DOUTRE, vicaire général et supérieur de la congrégation.»

Dans une correspondance datée du 11 juillet 1826, il expose à la Dauphine de France que cet asile a pour objectif premier «d’arracher (ces enfants) aux dangers toujours existants de l’irréligion, de l’ignorance et de l’oisiveté auxquels les expose la misère». En adressant ce courrier à cet illustre personnage, le prêtre implore l’Etat d’apporter une aide financière à l’établissement qu’il vient de fonder. Sa demande est pleine de déférence à l’égard de l’ordre monarchique : «Permettez illustre princesse, à un pauvre curé de campagne de se jeter aux pieds de votre Altesse Royale pour la supplier d’accorder quelques secours pour finir cet édifice.» La lettre arrive à la dauphine par l’intermédiaire d’un «dévoué ami» du curé Menut, le chevalier Le MORE. Celui-ci ne lui garantit pas que la dauphine accédera à sa demande mais tient à le féliciter pour avoir édifié cet asile. : «Dans l’indifférence de notre siècle, il faut que la Providence soit bien grande et que vous soyez un Saint pour avoir fait tomber la manne sur votre paroisse
Bien que le curé en appelle aux plus hautes sphères de l’Etat, les ambitieux objectifs de l’établissement de charité doivent être reconsidérés : en 1828, les secours financiers tant espérés n’arrivent pas. A l’entame de la décennie 1830, seul l’accueil des orphelins est envisagé.
A travers la création de «l’asile», on voit que le curé Menut prend en charge aussi bien le financement de l’établissement que l’orientation des statuts de la congrégation. Il apparaît véritablement comme le maître d’œuvre de la politique d’assistance de la commune, jouant de ses relations pour tenter d’arriver à ses fins.

Le 26 juillet 1842, une délibération du conseil municipal annonce «l’institution d’un Bureau de bienfaisance au chef-lieu de la commune de Sainte Sigolène.» Parmi les membres du Bureau figure la présence du maire Dugas du Villard et celle du curé Menut. Cet établissement a pour objectif de secourir les Sigolénois dans la nécessité et notamment des passementiers subissant une période de récession, appelée «la morte». La forte dépendance qui lie les ouvriers de la commune à la «Fabrique» stéphanoise plonge les habitants dans la pauvreté si les commandes émanant de la ville s’amenuisent.

Instigateur du réseau d’assistance sociale qui vient en aide aux plus dépourvus, Jean Antoine Henri MENUT s’engage aussi dans une politique de scolarisation des villageois. Si les Sœurs de St Joseph sont installées à Sainte Sigolène depuis la deuxième moitié de XVII ème siècle, il implante la congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne en 1842. Une donation d’une maison avec cour et jardin est faite par le curé Menut et par quatre notables du village. La congrégation «est chargée de donner aux garçons de la paroisse, et aux pauvres, gratuitement, l’instruction primaire et une éducation chrétienne en les formant aux vertus religieuses et civiles à leur état».
Les donateurs, soucieux que leur bienfaits soient bien consacrés à une œuvre religieuse paroissiale, imposent des clauses. Les locaux donnés à la commune en 1841 ne lui appartiennent que sous certaines conditions, dont la principale est de «n’admettre pour instituteur de cette école dans la maison donnée et ses dépendances que des Frères enseignants, appartenant à un corps religieux». Dans le cas où cette condition ne serait pas remplie, l’immeuble deviendrait la propriété des  «orphelins pauvres de la commune, et, pour elles, du Bureau de Bienfaisance». Ces exigences empêcheront au cours du siècle l’aménagement de ces locaux en école laïque et offrent une garantie de pérennité pour les institutions paroissiales.

Au cours de son ministère, le curé Menut a élaboré un réseau d’assistance et un système scolaire performant. Les dispositions juridiques prises en 1841 lui assurent la continuité de son œuvre pastorale. Le prestige de ce prêtre dévoué à sa communauté reste gravé dans la mémoire des Sigolénois et dans l’histoire du diocèse du Puy comme l’indique sa biographie proposée dans la semaine religieuse dès 1880, année de création de la revue.
Fort de son passé de prêtre réfractaire, le curé Menut a su conquérir l’estime de ses paroissiens tout au long de son ministère. Son dévouement offrait à ses successeurs un modèle de réussite pastorale.



C- Le curé MENUT : un personnage respecté et chéri.

L’Echo paroissial de Sainte Sigolène retrace en 1907-1908 la vie du curé Menut. Le témoignage insiste sur la popularité de cet homme et il semble que la symbiose tant désirée entre curé et paroisse soit réalisée sous son ministère. L’existence de Jean- Antoine Henry Menut a été liée pendant 41 ans au peuple et au terroir sigolénois : «Sa modestie et son attachement à ses chers paroissiens lui firent refuser les cures du Monastier, de Craponne et de Monistrol.» Après plusieurs années passées dans la paroisse, le lien charnel qui unit prêtre et paroissiens éteint toute ambition cléricale. La longévité de son sacerdoce à Sainte Sigolène est saluée car «le lien sacré qui s’instaure entre ouailles et pasteur (...) reçoit l’approbation entière et spontanée des populations rurales, qui répugnent dans une large mesure aux changements».

La réussite pastorale s’identifie aux bienfaits que le prêtre apporte en matière religieuse, morale mais aussi sociale et politique. La familiarité du curé Menut avec les habitants et la fidélité sans faille qui le lie à la paroisse de Sainte Sigolène forge dans les mentalités populaires la notion «de bon curé».
L’affection des paroissiens à leur prêtre est sans équivoque. La pétition signée par les habitants et la municipalité le 24 brumaire an XI de la République pour empêcher le départ du vicaire DOUTRE sonnait déjà comme «la complainte d’une communauté orpheline».
A la mort du curé Menut, «les pauvres et les paroissiens, en larmes, se chargèrent de son oraison funèbre.» En souvenir de leur pasteur décédé, des images pieuses étaient remises aux fidèles. Le lien charnel qui unissait paroissiens et prêtre pouvait alors se perpétuer au-delà de la mort de leur guide spirituel.

 


 

En 1872, le curé BADIOU et ses deux vicaires manifestent leur attachement à leur patrie d’adoption en demandant à la municipalité la permission de «faire sous la principale croix du cimetière un caveau pour la sépulture des prêtres desservant la paroisse». Une fois l’accord du conseil acquis, le curé Badiou est autorisé «à faire un caveau qui deviendra une maison perpétuelle pour ses successeurs».
Les noces d’or du curé Badiou célébrées le 20 septembre 1896 donnent lieu à une effusion de joie chez les paroissiens de Sainte Sigolène. Cette fête est l’illustration parfaite de la vénération qui habite en ces temps-là les fidèles pour leur pasteur. Un fascicule imprimé au Puy et sans doute rédigé par un ecclésiastique du diocèse, relate le déroulement de cette journée où les fidèles purent exprimer leur reconnaissance à leur «bon curé». Dès l’annonce de la cérémonie, les Sigolénois se mobilisent pour assurer un faste et une splendeur à l’échelle de l’événement :

«Pendant deux semaines, dans chaque famille, on a souvent utilisé le temps laissé libre par les métiers à barre ; chaque maison était transformée en atelier à guirlandes, de couronnes de fleurs. Les fêtes commençaient le jeudi 17 septembre pour se terminer le lundi 21

Cette fête voulue par l’évêque du Puy, allait être l’occasion pour les habitants de célébrer la venue de ce haut dignitaire de l’Eglise :

«... dans les rues on entendait les cris de «Vive Monseigneur, A notre Evêque, à notre Pasteur». Les rues qui entourent l’église sont pleines d’une foule avide de voir Monseigneur pour la première fois, de recevoir ses premières bénédictions ... Ce qu’il a vu prouve bien la vérité de ce qu’on lui avait dit sur Sainte Sigolène : c’est une des meilleures paroisse de son diocèse

L’union entre le prêtre et la paroisse se scelle véritablement au cours de cette journée et donne l’opportunité au maire de la commune, monsieur CORNILLON, de révéler publiquement dans quelle considération il tient le pasteur :

«Je ne sache pas qu’il soit défendu à un maire de la République de porter la santé de son Evêque : à notre évêque que nous sommes fiers de saluer au milieu de nous (...) Mon second sentiment est celui d’une vive allégresse. Monsieur le Curé vous en êtes l’objet (...). Les bouquets et ces couronnes, ces guirlandes, ces arcs de triomphe, nos rues changées en forêt sont l’expression de la vénération que vous ont si légitimement acquises trente années d’un ministère fécond parmi nous

Les intérêts des pouvoirs de la municipalité et de la paroisse semblent avoir été communs tout au long du XIX ème siècle. L’alliance entre les deux tenants de la vie communautaire villageoise a permis aux prêtres qui se sont succédé à la cure d’envisager leur mission pastorale avec quiétude et optimisme. Seul le mandat de monsieur HILAIRE laisse présager un affermissement du pouvoir communal et des prises de position plus tranchées. Le remplacement de monsieur Hilaire par le fils de Dugas du Villard, bienfaiteur de la paroisse par excellence, renoue avec l’unanimisme qui régnait auparavant à Sainte Sigolène.
Le rédacteur du fascicule cité plus haut termine en disant : «Sainte Sigolène compte dans son histoire une belle page de plus qui témoigne hautement de son esprit de foi, de son dévouement, de son amour des prêtres.»
Cet aperçu du lien sacré qui unit prêtres et paroissiens à Sainte Sigolène ne peut que donner raison au constat établi dès 1832 par le sous-préfet d’Yssingeaux et montrer à quel point cet arrondissement est une terre de permanence religieuse. Néanmoins le rapport du sous-préfet n’est pas exempt de critique :
«Le parti prêtre exerce sur elles (les populations de l’arrondissement d’Yssingeaux) une influence très grande. En grand nombre dans cet arrondissement, les prêtres ne font rien d’ostensiblement hostile ; mais ils usent avec adresse du prestige de leur position pour entretenir cet état d’ignorance et de crédulité ; ou s’ils consentent à en faire sortir quelques individus, c’est pour s’en emparer à tout jamais et les élever selon leur ancienne et chère tradition».
En 1907, l’abbé CHANANIS décrit l’état d’esprit des Sigolénois : «notre population est pauvre et laborieuse, elle est enthousiaste, remuante même mais profondément chrétienne. Elle a le respect du prêtre, elle l’aime, elle le vénère. Bien rares sont ceux qui ne saluent pas le prêtre».

Si la paroisse ne peut se passer d’un pasteur, il apparaît que les actions du curé peuvent rayonner bien au-delà de sa charge spirituelle paroissiale. Des fonctions, au niveau diocésain, lui sont parfois confiées.



III - Prêtres et paroisse au sein du diocèse.

Les curés de canton occupent une place singulière. Ils ont la même charge pastorale que les desservants mais l’administration épiscopale leur confie un rôle de relais entre le diocèse, les paroisses et assez fréquemment aussi avec les hommes politiques du département.

A- Sous l’autorité de Monseigneur.

La paroisse est le premier relais de l’Eglise universelle. Le curé et les desservants, soumis au système pyramidal de l’autorité qui part du Souverain Pontife applique la politique diocésaine énoncée par les archevêques ou les évêques.
Personnage vénéré, l’évêque du Puy en Velay tient son autorité de la législation concordataire, des articles organiques et de la législation canonique. Le concile de Trente (1545 -1563) réaffirme les pouvoirs de l’évêque : il détient un pouvoir de juridiction qui s’exerce par l’enseignement, le gouvernement et l’administration. Le concile l’astreint à trois obligations. L’évêque doit résider dans son diocèse et visiter régulièrement les paroisses pour garantir le bon accomplissement de sa mission spirituelle. Il doit également rendre une visite ad limina au souverain pontife. ( ad limina : La visite ad limina est d'abord un pèlerinage sur les tombeaux des apôtres saint Pierre et saint Paul. Elle permet également de renforcer les liens avec le Saint-Siège ...)
Avec la mise ne application du Concordat, Bonaparte fait du chef spirituel du diocèse un «détenteur de fonctions reconnues par l’Etat». Pour des raisons évidentes de politique,  le Premier Consul avait conféré les pleins pouvoirs aux évêques pour tenter d’amoindrir les relations entre le siège pontifical et l’épiscopat. Fonctionnarisé et rétribué par l’Etat, l’évêque doit prêter un serment politique qui sera supprimé en 1848, remis en vigueur en 1852 et définitivement supprimé en 1870.

Les relations entre l’évêché et les paroisses sont multiples. Elles peuvent être fiscales par le biais du denier du culte. L’évêque dicte les grandes orientations religieuses, morales et pastorales. Ces directives sont précieusement conservées puisque la paroisse de Sainte Sigolène a encore en sa possession la collection des mandements pastoraux. Les visites pastorales ont pour objectif de rompre l’isolement paroissial et de permettre à l’évêque d’avoir une meilleure connaissance de son troupeau.
Suivant le droit canon, la visite de l’évêque doit avoir lieu tous les ans ou tous les deux ans. Les articles organiques préconisaient une visite complète du diocèse tous les cinq ans mais, en pratique, l’évêque ne peut assurer ce devoir. Alors il délègue ses pouvoirs aux grands vicaires, appelés après la deuxième moitié du XIX ème siècle, vicaires généraux.
Titulaire d’un poste à haute responsabilité dans l’évêché, les vicaires généraux sont inamovibles et peuvent suppléer l’évêque dans ses tournées pastorales. Dans une ordonnance relative à la visite des églises, il est stipulé «que le vicaire général visite les églises et les chapelles des chefs-lieux d’arrondissement» et le curé d’arrondissement «les églises et les chapelles des chefs-lieux d’arrondissement». Au cours de ces visites il est fait un état des lieux destiné à dresser la situation matérielle du patrimoine monumental religieux de la paroisse (église, presbytère, chapelles, ..) et non l’état spirituel. Pour Sainte Sigolène, le délégué de l’évêque est le curé archiprêtre de Monistrol/Loire : en 1892, c’est le père Sabatier qui se déplace.
A Sainte Sigolène la venue de l’évêque est toujours un événement. Dans le compte de 1851, la «fabrique» de Sainte Sigolène demande un secours à l’Etat pour «construire une chambre au-dessus de la cave du presbytère afin de loger monseigneur l’évêque en visite pastorale». Si la «fabrique» se soucie de garantir un certain confort matériel à ce haut dignitaire de l’Eglise, les fidèles tiennent à fêter dignement l’arrivée de leur premier pasteur.
La Semaine Religieuse relate l’engouement populaire que suscite la tournée pastorale de Monseigneur Petit en 1887 :
«Le prélat prenait la route de Montfaucon ; mais il faisait halte à Sainte Sigolène, où toute la population était sur pied pour l’attendre. «Quelle foi dans ce pays !» nous disait quelqu’un. Sur tout le parcours, c’étaient des familles entières qui accouraient de toute part, à travers champs, pour venir recevoir, au passage, la bénédiction du prélat et lui présenter  leurs petits enfants. Puis, bien avant l’entrée dans le gros bourg, la foule des fidèles faisait la haie de chaque côté du chemin et se courbait avec foi sous la main bénissant de son vénéré pasteur. Pendant ce temps, les cloches sonnent à toute volée et l’évêque entre dans l’église, brillamment illuminée et richement décorée».

Pour que la visite pastorale soit constructive le curé doit remplir un questionnaire envoyé quelque temps plus tôt par l’évêché portant sur la pratique dominicale et pascale, les moyens de la catéchèse, l’état des mœurs, l’état matériel des édifices cultuels, le traitement des prêtres de la paroisse, ... Le compte-rendu de la visite pastorale présente l’état spirituel de la paroisse ( sacrements, office divin, instruction des fidèles, ....), la situation des ecclésiastiques et des congrégations, l’état matériel et temporel (église, cimetière, presbytère et «fabrique»).

En 1880, l’évêché lance la publication des Semaines religieuses du diocèse du Puy en Velay. En se dotant d’une presse spécifique, les responsables altigériens suivent le mouvement lancé par les diocèses de Paris (1853) et de Toulouse ( 1861). Dans le premier numéro, l’évêque du Puy souligne les trois desseins qui ont motivé la création de cette revue : la volonté de répondre «au désir du Souverain Pontife», «la nécessité de combattre la mauvaise presse»  et «le devoir de s’opposer à l’ignorance religieuse». Le périodique continue à donner une unité au diocèse et à rompre l’isolat dans lequel se trouvent les curés et desservants de la circonscription.
Le sommaire est ainsi structuré :
Fêtes de la semaine,
Chronique diocésaine : instructions pastorales, santé des confréries et des congrégations, événements, ....,
Chronique de Rome : bulles pontificales,
Chronique du monde catholique,
Petites nouvelles,
Chronique politique,
Variétés : questions philosophiques, dogmatiques, morales et politiques,
Etudes religieuses et locales.

La publication des «Semaines religieuses» permet aux prêtres de prendre conscience qu’ils font partie prenante du diocèse et de la chrétienté. Elle leur offre aussi des cadres conceptuels de pensée et de pastorale. Même si elles ne deviennent pas l’organe de communication espéré avec les fidèles, elles se transforment en journal d’information religieuse et de formation professionnelle à l’usage privilégié du clergé.
Bien qu’il soit nécessaire de recouper les informations figurant dans les «Semaines religieuses» avec d’autres sources, ce périodique révèle une véritable richesse. Michel Lagrée a largement utilisé cette source imprimée dans son ouvrage «Religion et culture en Bretagne» (1850-1950) car «des faits d’actualités aux articles de réflexion, des chronologies aux instructions officielles, le dépouillement (....) offre une information très vaste». L’utilisation des «Semaines religieuses» au niveau paroissial apporte de nombreux compléments, notamment en ce qui concerne les aspects de la religion festive et démonstrative.

La présence de l’évêque dans la paroisse est somme toute limitée et intermittente. En confiant à certains curés des fonctions diocésaines, l’évêché fait de ces prêtres un rouage essentiel du corps pastoral. Le 25 septembre 1837, le prêtre Menut reçoit le camail de chanoine honoraire de Notre-Dame du Puy en Velay. Cette distinction sera aussi décernée aux abbés Pierre Badiou et Pierre Morel.
Le rang du prêtre dans le diocèse dépend aussi bien de l’importance démographique et administrative de la paroisse desservie que des mérites personnels. Les fonctions honorifiques le rapprochent un peu plus du pouvoir épiscopal mais la vie du curé de campagne se construit surtout à l’ombre de son clocher.
Hormis les fonctions officielles qui le rattachent éventuellement au diocèse, le curé de Sainte Sigolène peut mener des activités plus officieuses. L’opinion politique des clercs sera exposée à travers l’étude de la formation du parti légitimiste dans l’Yssingelais.


B- Prêtre et politique : le parti légitimiste à Sainte Sigolène.

En marge de la sociabilité cléricale, le courant légitimiste qui s’empare de l’Yssingelais à partir de 1830 s’articule autour des curés. Le presbytère devient le point de ralliement des carlistes et une autre facette de l’engagement des prêtres se fait jour (Le carlisme étant une tendance politique royaliste espagnole apparue dans les années 1830 pour défendre l’héritier légitime. Il  était un courant traditionaliste, attaché à la défense de la religion catholique).
La restauration de la dynastie des Bourbons en France en 1814 et 1815 avait été vécue pour la grande majorité des prêtres de campagne comme un immense espoir. En mars 1830, Charles X, roi ultra et dévot, entre en conflit avec la majorité de la Chambre élue qui refusait de collaborer avec le ministère Polignac investi de sa confiance. Une tentative malencontreuse de coup d’Etat (25 juillet) provoque le soulèvement de la population parisienne. Après trois jours de combat (les Trois Glorieuses), Charles X est contraint d’abdiquer en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux. Finalement, Louis Philippe, accède au pouvoir et instaure la Monarchie de Juillet.
Comme dans beaucoup de campagnes françaises, une partie du clergé de l’arrondissement d’Yssingeaux vit comme un choc le renversement de la monarchie légitime. Parmi les trois partis qui refusaient de se rallier à «l’usurpateur» Louis Philippe, on trouve les légitimistes, partisans de la branche des Bourbons.
Avec la Révolution de 1830, les opinions religieuses s’éveillent car la révolution libérale abolit définitivement la notion de religion d’Etat. Le sous-préfet d’Yssingeaux explique la réaction massive du clergé contre la monarchie de Juillet qui «lui a si traîtreusement enlevé tout le terrain conquis pendant les quinze années de la Restauration».
En 1831, le préfet de la Haute-Loire remarque que : «Le gouvernement déchu compte un grand nombre de partisans dans l’arrondissement d’Yssingeaux». Il attribue cette situation à «l’influence de quelques familles dévouées à l’ancien ordre des choses». L’ancrage monarchique et conservateur du clergé de l’arrondissement pousse un certain nombre de curés à développer le mouvement carliste dans leur paroisse. : «le clergé exerce une grande influence et le parti légitimiste marche de concert avec lui».

Face à la constitution de groupuscules carlistes le juge de paix du canton de Monistrol/Loire, Mr. DUBOIS, est chargé en 1832 de «surveiller et découvrir les manœuvres des ennemis du gouvernement (...) exploitant la crédulité plébéenne». Dans son rapport il insiste sur l’engagement légitimiste des notables et surtout du clergé. A Monistrol/Loire, Saint Maurice de Lignon ou Sainte Sigolène, les prêtres prennent la tête du mouvement : «Les trois prêtres desservant la commune de Sainte Sigolène ont signé cette protestation en question. Le vicaire Bonnet est encore plus dangereux que son curé qui ne l’est pas mal». Il note l’implication de l’ancien maire Dugas du Villard, personnage éminent., «peut-être le plus riche du département». Le légitimisme «écho persistant de l’ancienne alliance entre le Trône et l’Autel» positionne politiquement les châtelains aux côtés du clergé paroissial. Malgré le prestige des figures locales qui prennent part à la constitution du parti légitimiste, seuls «quelques paysans fanatiques et quelques fillettes dévouées aux prêtres» intègrent le comité.
L’organisation des comités carlistes apparaît lâche mais semble se concentrer autour de Monistrol/Loire et Sainte Sigolène. Au début des années 1830, le presbytère du curé Menut devient le rendez-vous des légitimistes du canton. : «Il y a encore chez M. du Villard, commune de Sainte Sigolène, chez le curé et le vicaire Bonnet des réunions de carlistes des communes étrangères». Les autorités civiles entretiennent un climat de suspicion et de méfiance autour des réunions organisées par le clergé à la révolution de 1830.

Il est intéressant de constater que l’horizon de la sociabilité cléricale s’étend jusqu’au domaine du politique. Ralliée à la cause légitimiste, l’opposition se borne dans l’arrondissement «à quelques quolibets contre le gouvernement et les agents de l’autorité».
Si les comités se limitent à une contestation feutrée contre le pouvoir, le clergé de Haute-Loire use de son influence au profit des partis de droite. En 1843, le sous-préfet d’Yssingeaux écrit : «La haute influence appartient à l’aristocratie et au clergé. L’opinion radicale n’est représentée que par de rares individualités sans valeur et sans cohésion. Le parti légitimiste est le seul des partis d’opposition qui, par le nombre de ses membres, leur fortune, la considération et la popularité dont ils jouissent, ait une consistance et une importance réelle».

S’appuyant sur une étude des élections et des structures mentales dans l’Yssingelais, Gilles Charreyron qualifie l’arrondissement de «bastion conservateur». Depuis la Révolution, le Velay oriental constitue une forteresse de la droite. «Opposé aux partis du mouvement en 1848, l’est du département refuse le gouvernement républicain en 1876 et par la suite, résiste à la République laïque et anticléricale. (...) Cette permanence de la géographie électorale vellave révèle la pesanteur des traditions culturelles».
Espérant un secours financier pour l’asile d’orphelins, le curé Menut écrivait déjà en 1824 à la dauphine de France : «nous apprendrons à nos enfants en Jésus-Christ, à bénir tous les jours le Dieu de Saint Louis et à lui demander qu’il daigne conserver à jamais les princes chéris, qu’il nous a rendus, dans sa miséricorde».

En 1848, l’idée de la République semblait difficile à accepter pour une partie de la population de Haute-Loire : le préfet donne l’ordre au sous-préfet d’Yssingeaux «de faire disparaître les arbres de la liberté et le bonnet phrygien» qui d’après les rapports qui lui sont faits, «effrayent les honnêtes gens par le souvenir qu’ils rappellent». Dans une lettre datée du 29 décembre 1848, le sous-préfet déclare qu’il «ne partage pas l’opinion de ceux qui pensent que cet emblème (l’arbre de la liberté) jette l’effroi parmi les honnêtes gens» et avertit que ceci aurait pour conséquence de briser le «bon ordre» et «l’harmonie» qui règnent dans on arrondissement.  

Véritable maître d’œuvre de l’organisation spirituelle de la paroisse, le curé élargit son champ d’action au niveau diocésain. Cette figure locale sera en 1830 le porte-étendard d’une cause politique conservatrice. Impliqué au niveau paroissial comme diocésain, le curé est épaulé par des auxiliaires ecclésiastiques et laïcs pour mener à bien sa mission pastorale.


 
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