Chapitre 2 : Une terre de fidélité — Ensemble Paroissial Saint-Joseph en Velay

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Chapitre 2 : Une terre de fidélité

Le signe le plus apparent de l'appartenance à la religion catholique est l'assistance aux offices hebdomadaires et aux fêtes inscrites dans le cycle liturgique L'importance du vécu religieux dans la vie quotidienne est constitutive de l'existence paroissiale. Les fêtes importantes comme Noël, Pâques ou la Toussaint côtoient des dévotions particulières à SAINTE SIGOLENE comme la fête de la sainte patronne ou celle de Saint Autrégésile. La religion catholique festive et démonstrative est un des piliers de l'unanimité paroissiale mais la manière de vivre sa Foi n'est pas analogue pour tous les pratiquants.


I- Les expressions du

«catholicisme ordinaire».

Terre de chrétienté, la paroisse de Sainte Sigolène se définit par un ensemble de rites et de pratiques religieuses qui imprègnent profondément la vie des fidèles. Comme le souligne Philippe Boutry, «les pratiques cultuelles (...) constituent le noyau dur de l’assise stable de la foi de l’ancienne chrétienté rurale.» Loin de l’orthodoxie religieuse, la croyance se teinte parfois de culture magique, fréquente dans les campagnes altigériennes.


A- L’universalité des rites de l’Eglise

catholique : le cycle liturgique

La vie religieuse est rythmée par les grandes célébrations du cycle liturgique. Le recueil écrit par le curé Badiou sur les Us et coutumes dans la paroisse de Sainte Sigolène décrit en détail le déroulement des cérémonies. A travers l’étude des grandes fêtes religieuses, nous tenterons, malgré le manque cruel de source quantitatives, d’analyser la pratique des Sigolénois.
Pour aborder cette partie, nous nous appuierons sur la catégorisation des pratiquants réalisée par Gabriel Le Bras, pionnier de la sociologie religieuse. Il distingue trois grands types de pratiquants :

Les conformistes saisonniers sont les catholiques qui vont à l’église du village pour recevoir le baptême, la première communion, le sacrement du mariage et la sépulture  ; «Ceci correspond aux étapes biologiques ; naissance, raison, maturité, mort ...».

- Les observants réguliers participent constamment aux offices dominicaux et aux fêtes d’obligation, communient lors du temps pascal et se confessent au moins une fois l’an.

- Les fidèles qui se rendent à l’église avec un zèle exceptionnel «constituent parfois une élite chrétienne et parfois un essaim bigot». Ils se confessent et communient fréquemment, assistent à la messe quotidiennement, sont présents au «saluts» et prédications, se mettent au service de la paroisse et participent aux œuvres paroissiales.

- Les détachés ou déliés "désignent des hommes d’ascendance catholique qui vivent en marge de l’observance et même du conformisme saisonnier». Ils doivent cependant être différenciés des athées.


Les visites pastorales et les compte-rendus de la Semaine religieuse livrent des aspects de la pratique à Sainte Sigolène. Les sources disponibles s’avèrent toutefois trop fragmentaires pour essayer de déduire des statistiques sur le XIX ème siècle.

En 1837, le curé Menut informe l’évêque qu’il n’a point d’hérétiques à Sainte Sigolène. Cette qualification est peut-être destinée à la population protestante, fortement ancrée dans le pays de Mazet Saint Voy et du Chambon/Lignon. Il remarque que la population est fortement fidèle à l’Eglise ; il y a seulement «quelques indifférents


L’une des fêtes les plus populaires est sans contexte la Toussaint. Pour Eugen Weber, les sociétés «rurales envisagent leur existence et leur survivance comme étant dépendantes des échanges entre le monde des vivants et le monde des morts, ce dernier contribuant à la fertilité et au renouveau du premier
La Semaine religieuse atteste toute l’attention portée par les habitants au culte des morts.
«La paroisse de Sainte Sigolène a cru répondre aux intentions de sa Sainteté Léon XIII et aux désirs de monseigneur l’évêque, en donnant beaucoup d’éclat à cette funèbre solennité. Dès le jour du Triduum, l’église fut entièrement tendue de noir (.... Le dimanche, il s’est produit une véritable manifestation : à la première et à la seconde messe, l’église était trop étroite pour contenir la foule triste et recueillie. Tout était de nature à leur inspirer la dévotion, prodigalité de lumière, grand nombre de communions. Notre fanfare heureusement ressuscitée, a voulu être aussi de la fête (...). Après le chant des vêpres des morts, grand nombre de personnes ont fait le chemin de croix.»
D’après la visite pastorale de 1893, 700 à 800 personnes ont communié lors de la précédente célébration de la Toussaint.

L’abstinence et le jeûne du Carême semblent assez généralement observés. Les évêques n’ont de cesse de rappeler les prescriptions alimentaires tout au long du XIX ème siècle. D’après les observations faites par le curé Badiou, le temps de carême est scrupuleusement observé : «La distribution des cendres se fait à sept heures et est suivie de la grand’messe d’âmes du jeudi. Le premier jeudi de carême, point de messes d’âmes ; elle a été célébrée la veille à cause du grand concours de fidèles.»

Les processions du Carême caractérisent une piété démonstrative. Le cortège investit le village et ancre le fait religieux dans l’espace paroissial de manière ostentatoire.
«Tous les vendredis de carême, vers le coucher du soleil, chemin de croix. Le clergé précédé de la croix processionnelle parcourt successivement les stations, tandis qu’un prêtre du haut de la chaire lit la considération et récite le Pater. Le célébrant en étole rouge chante Y adoramus (...), les chantres Sancta Mater et les chanteuses le cantique Suivons la montagne. Pendant l’exercice du chemin de croix, la relique de la vraie croix est exposée sur l’autel entre deux cierges allumés, et à la fin le célébrant bénit le peuple avec cette relique ...».

La visite pastorale de 1893 semble indiquer que la communion de Noêl est aussi suivie que la communion pascale. L’année précédente, les quatre grand’messes de la Semaine sainte attirent près de 2400 fidèles à la table de communion. La seule célébration de la naissance du Christ rassemble «800 à 900 personnes» en 1892.

Les grandes fêtes du calendrier sont l’occasion pour le clergé paroissial de faire appel à la générosité des fidèles. Les «Mystères de Noël» en 1886, permettent de récolter des fonds pour assurer les frais de fonctionnement de l’hospice :
«Les gens de Sainte Sigolène ont vu non sans déplaisir fermer la pharmacie : une pharmacie qui les aidait à nourrir quelques bons vieux, quelques bonnes vieilles, deux ou trois orphelins. L’utilité était réelle. (...) Ne pourrait-on pas trouver quelques éléments pour représenter les mystères de Noël et faire pleuvoir dans la bourse des pauvres des gros sous et des pièces blanches (...). Tout est bien qui finit bien ; la collecte a été abondante et les pauvres auront du pain, des habits et du feu !»

L’accomplissement du devoir pascal est une obligation : lors des Pâques, le clergé paroissial accorde beaucoup d’importance au visuel et à la symbolique. Le curé, Pierre Badiou, fait remarquer que le Jeudi Saint, le célébrant lave les pieds à douze enfants pauvres de la paroisse. Le Vendredi Saint, «après l’adoration de la croix, un prêtre donne à baiser aux fidèles un crucifix...». Ce cérémonial bien réglé participe à la splendeur du culte et touche la sensibilité des fidèles.
L’observance des Sigolénois à l’occasion des grandes fêtes paraît être exemplaire. Au-delà d’une adhésion intérieure, «le respect de la pratique» signifie pour Gérard Cholvy que «le conformisme social joue en faveur de l’Eglise.»

Au cours d’un année liturgique, les processions inscrivent la religion dans le cadre géographique communal, au même titre que les croix qui jalonnent les campagnes. Les processions circumambulatoires tracent de façon symbolique un cercle protecteur autour de la paroisse.

Les mois de Saint Joseph (mars), de Marie (mai), et du Sacré-Cœur (juin) contribuent à la christianisation des villageois.  Ces célébrations s’adaptent au cadre local  : durant le mois de Marie, les fidèles sigolénois «récitent chaque jour un Pater et un Ave pour les bienfaiteurs de la paroisse de la Sainte Vierge

La dévotion des Quarante heures, originaire d’Italie, «destiner à dissiper les débauches du carnaval», s’inscrit aussi dans le cycle liturgique.

L’adhésion quasi unanime des paroissiens au cycle liturgique ne va pas sans un renouveau des pratiques cultuelles et un particularisme des dévotions locales. Le culte des saints semble jouir d’une remarquable vitalité à la fin du XIX ème siècle : la nature des cultes et la spécificité des saints peuvent expliquer ce phénomène.




B- La particularité des dévotions locales :

«les saints de terroir»



La paroisse de Sainte Sigolène et plus généralement le Velay oriental apparaît comme une terre de prédilection pour des pratiques cultuelles anciennes.

 

 


Au début du XIX ème siècle, un mouvement de renouvellement des reliques s’enclenchent.
La conservation des reliques dans l’église paroissiale amène à une prolifération et à une spécialisation des dévotions locales.

De 1848 à 1870, onze authentifications de reliques sont faites par l’évêque du PUY ; pourtant la présence de certains de ces restes sacrés sont avérés bien avant 1848.

 

Sainte Sigolène sur la façade principale de la cathédrale d'Albi

 

La relique de Sainte Sigolène est acquise en 1825 et certifiée par l’évêque en 1870. Par la suite, les Sigolénois ont presque tout oublié de l’origine ce cette femme moniale qui fonda et dirigea le monastère du Troclar près de la préfecture du Tarn. Pourtant sur la façade principale de la cathédrale d’Albi trône une sculpture de la sainte, les yeux tournés vers Lagrave, le pays où elle grandit et mourut. Elle aurait vécu entre 620 et 670. Des fouilles conduites par la Section archéologique de la commune «ont restitué le village et les dépendances du monastère et mis au jour les vestiges de la crypte où reposa Sainte Sigolène jusqu’au XI ème siècle, date du transfert des reliques à Albi.»

La paroisse accorde une attention particulière à la vénération de Sainte Sigolène. Le 24 juillet, sans nul doute jour de sa mort, elle célèbre sa fête avec faste. Le dimanche dit du «bon Pasteur», une procession précédant la grand’messe part de la chapelle des Sœurs de la Croix. «Lorsque la procession arrive à la station (probablement l’oratoire toujours existant mais qui a été déplacé), un prêtre en étole fait baiser la relique ...». Cette relique est une infime partie d’un os du bras, accordée en 1825 au curé Menut par l’évêque d’Albi.

Il est clairement établi "de temps immémorial» que le premier patron de la paroisse est Saint Barthélémy. Mais la vénération pour Sainte Sigolène occupe une telle place dans les mentalités populaires que le curé Badiou, après le curé Chilhac, dans une déclaration démonstrative et dénuée de fond historique, écrit en 1896 qu’elle est «la patronne de la paroisse». L’acquisition de «la sainte relique» a sûrement joué un rôle décisif dans ce transfert officieux pour le titre de patron.

Le culte de Saint François Régis est bien implanté dans la paroisse. Le 16 juin, jour de sa fête,, «commence une neuvaine pendant laquelle la relique est exposée à la vénération publique ; on  la présente à baiser aux fidèles...».

Les pèlerinages aux Saints guérisseurs ou protecteurs ponctuent la vie paroissiale.
Avant 1793, «il y avait au château de Cublaizes, une chapelle dédiée à Saint Austrégésile». Elle constituait autrefois la troisième station des Rogations pour intégrer les hameaux des Villettes à ce rite agraire. En 1812, monsieur de Charbonnel du Betz, ayant racheté les propriétés de Cublaizes, vendues par la nation, fit présent des reliques du saint à la paroisse. Lors de la fête de Saint Austrégésile, «le prêtre bénit le sel après avoir donné la sainte communion et fait faire les romérages». Le sel était celui qui était destiné aux bêtes dans les champs ; quant aux romérages, ce sont des fêtes qui commençaient avec la procession officielle et la messe, qui se poursuivaient par des jeux accompagnés parfois d’une foire ou d’un marché.
Lors de ces fêtes, le sacré et le profane sont intimement liés. Sainte Sigolène devient alors un lieu de pèlerinage pour les fidèles du diocèse comme l’atteste ce passage de l’Echo paroissial :
«Dimanche 26 mai, sera célébrée solennellement dans notre paroisse, la fête de Saint Austrégésile dont nous possédons les insignes reliques. Chaque année, depuis un temps immémorial, les populations des paroisses voisines viennent recommander à ce saint leurs intérêts temporels.
(...) Cette année comme les années précédentes (...) la troisième messe sera la messe du pèlerinage. Il y aura sermon, chants. Les tambours et clairons du patronage se feront entendre. Après chaque messe, vénération des reliques. Nous prions les habitants de maintenir leur renom d’hospitalité et de faire le meilleur accueil aux pèlerins»
.

Saint Roch est l’un des saints guérisseurs les plus populaires de la chrétienté. Le dimanche qui suit le jour de sa fête, une procession solennelle est organisée avant la grand’messe. Le célébrant porte la relique de la vraie Croix. Après la bénédiction délivrée à la station (oratoire de Ste Sigolène), les fidèles «chantent le De Profondis pour les pestiférés inhumés près de la niche de Sainte Sigolène». Le curé Badiou note que «cette procession est l’accomplissement fait à Saint Roch par la paroisse dans un temps d’épidémie». Au XIX ème siècle, les dévotions rurales prennent leur racine dans l’ancienne foi des campagnes. Au début du XX ème, cette dévotion semble encore vigoureuse. En 1907, l’Echo paroissial mise sur «une assistance encore plus nombreuse à la fête de Saint Roch» puisque beaucoup de familles sont éprouvées par la rougeole. Le clergé invoque Saint Roch pour faire cesser cette épidémie comme il l’avait fait autrefois lors d’un «fléau dévastateur».


La majorité des cultes ruraux s’articulent sur la possession des reliques. Celles de Sainte Sigolène et de Saint François Régis sont au centre des dévotions puisque les récits insistent sur la pratique du baiser envers ces restes sacrés.
Pour les autres, la vue est davantage sollicitée et la relique fait partie intégrante du cérémonial d’une fête du cycle liturgique ; la vraie Croix est exposée aux fidèles jusqu’à quatre fois dans l’année ; lors du Carême, le Vendredi Saint, à l’occasion de la fête de St Roch et le jour de l’exaltation de la Sainte Croix.
Par la suite, même si les reliques ne paraissent plus aptes à alimenter par elles seules la ferveur, elle constituent un patrimoine précieux.

Le jour de Saint Marc une procession se dirige vers Notre Dame des Anges. En 1819, le curé Menut décrivait le culte dédié à Notre Dame des Anges : «c’est à cet oratoire sue 2400 français se rendent processionnellement tous les ans et aux époques les plus mémorables et vont adresser leurs vœux au Ciel pour la prospérité de la France».
Le catholicisme rural, par une inscription temporelle et géographique, marque profondément le cadre paroissial. Les mentalités populaires sont imprégnées de la culture magique des campagnes. Au sein du prescrit de la religion officielle on aperçoit qu’un ensemble de rites ancestraux perdurent tout au long du XIX ème siècle et certains même au début du XX ème.

 



C- «La religion populaire»



Magie et religion cohabitent parfois dans l’esprit des gens. Toute formule religieuse dans une civilisation largement orale a un pouvoir en elle-même. Il ne faut pas se borner à voir seulement l’expérience vécue par le plus grand nombre, par opposition à la religion prescrite. Philippe Boutry fait remarquer que «le terme de superstitions (...) est totalement inopérant dans le domaine des mentalités religieuses : où s’arrête la superstition, où commence la religion ?» L’usage en vigueur à l’oratoire de Sainte Sigolène succède à un culte païen de l’eau. Les pèlerins tournaient autour de la source en récitant des prières.
Les pratiques cultuelles constituent pour les habitants un tout, complexe et prégnant. Pour contrer la malédiction qui touche le bétail, les récoltes et les hommes, les ruraux ont recours à des pratiques anciennes. Les Rogations au début de la belle saison étaient l’occasion de bénir les champs. De même, des petites croix en bois façonnées souvent par le  paysan lui-même au cours de l’hiver, étaient déposées dans les champs de seigle pour préserver la récolte.

L’observation des formes de la sociabilité comme les veillées permettrait de mieux appréhender la culture orale mais nous ne développerons pas ce sujet. Nous pointons simplement le décalage qui s’opère entre la religion des notables et celle du peuple ; il est considérable.

En toutes paroisses les manifestations religieuses deviennent de plus en plus fastueuses. En prenant soin de l’apparat des processions et des célébrations (présence du «Suisse» par exemple), le clergé paroissial multiplie les attraits des fêtes religieuses.



II- Une religion festive et

démonstrative.


Le calendrier des saisons et le calendrier liturgique sont largement concordants : la symbolique religieuse s’inscrit fort bien dans la vie d’une paroisse rurale. Les processions des rogations sont, avec la fête patronale, l’occasion d’une interpénétration entre le sacré et le profane. L’omniprésence de la religion dans l’existence quotidienne des habitants est incontestable. Cependant, le sentiment religieux n’est pas ressenti par tous de la même façon.
 



A- La fête patronale et les rites agraires.



A Sainte Sigolène , une incertitude plane depuis le XVIII ème siècle pour savoir sous quel vocable est désignée la paroisse.

Lors de la construction de l’église paroissiale la dédicace est faite, malgré quelques controverses, à Saint Barthélémy : il est donc désigné clairement comme le patron de la paroisse. Pourtant en 1760, le curé Chilhac affirme que Sainte Sigolène est la patronne du village auquel son  nom a été donné ; Saint Barthélémy ne serait  que le « second patron ».  A la fin du XIX ème siècle, le curé Badiou le qualifie uniquement de « titulaire de l’église ».
Marie-Hélène Frœselé-Chopard remarque que si « le titulaire de l’église est donné une fois pour toute, au cours du XIX ème siècle, le saint patron apparaît de plus en plus souvent à ses côtés ». La popularité du culte de Sainte Sigolène, considérée comme une sainte guérisseuse, déclasse à n’en pas douter la célébration plus profane que religieuse de Saint Barthélémy, apôtre de Jésus, nommé Nathanaël dans l’évangile de Jean.

Le 24 août et les jours de l’octave, la relique de Saint Barthélémy est exposée à la vénération des fidèles. Après les cérémonies religieuses, des réjouissances profanes sont organisées. Elles donnent lieu parfois à des débordements : dans le numéro de l’Echo paroissial d’août 1907, le curé se félicite que « les fêtes du soir aient été accompagnées avec calme et correction. On s’est amusé sans doute mais honnêtement et nous n’avons pas eu à déplorer de scènes scandaleuses qui sont souvent le corollaire des fêtes publiques ».
En1896, le curé Badiou précise que la relique est « faite vénérée à tous les fidèles à chaque fin des messes ».

A cette époque encore, la survie des hommes est liée à la réussite des récoltes. Les fêtes principales du calendrier chrétien sont marquées par des célébrations dont le caractère agraire est encore plus évident.
Malgré les lois qui proscrivent tout signe extérieur de culte pendant la Révolution, les rites catholiques se maintiennent en Haute-Loire. Le 23 floral, an IX, le ministre de la Police générale de la République écrit au préfet de la Haute-Loire « que les prêtres, abusant de la tolérance du gouvernement, cherchent à donner aux cérémonies de leur culte la même publicité ». Les fêtes des Rogations et de la Fête-Dieu sont dans la ligne de mire du fonctionnaire.  « Je sais que l’on prépare à l’occasion des fêtes connues sous la désignation de la Fête-Dieu et des Rogations, un appareil religieux qui serait moins le signe de la ferveur que de la désobéissance aux lois. »
L’enracinement des Rogations s’explique facilement dans les départements à dominante rurale. Cette fête aurait été instituée par Saint Mamert, évêque de Vienne de 463 à 474. Au VIII iècle, Léon III  l’aurait étendue à toute la chrétienté.
La célébration des Rogations se déroule trois jours avant l’Ascension. Les habitants sollicitent la protection divine sur leurs champs et contre les calamités naturelles. Chaque jour des Rogations, vers 6 heures du matin, une procession part du bourg vers la campagne environnante.  Les processions irradiaient véritablement la campagne : « première procession à la Croix de Meihlac et du bourg vers les Bruyérettes (nord-est), la deuxième au Calvaire, la troisième à la Grand’Croix sur la route de La Louvesc. » Le cortège s’arrête à chaque croix, décorée pour l’occasion, et psalmodie la litanie des saints. Dans les champs, à cette occasion, des petites croix seront bénies  par le curé et plantées dans les récoltes en herbe pour assurer la protection contre les intempéries. Fête saisonnière par excellence où la spiritualité se mêle  aux intérêts proprement matériels d’une population, les Rogations attiraient beaucoup de fidèles. Mais en 1906, le curé se plaint que l’assistance aux Rogations ne soit pas fidèlement observée :

«Pour les biens de la terre, pourquoi fut-il que, pour un trop grand nombre de chrétiens , ces prières passent inaperçues ? Ils s’habituent à compter uniquement sur la vigueur de leurs bras, sur le perfectionnement de leurs machines et ils mettent Dieu en dehors de leurs travaux. Pourquoi faut-il que ces processions des Rogations, si religieuses, si poétiques dans la douceur du matin, soient si peu suivies ? Pourquoi chaque maison de la paroisse n’y est pas représentée ? Pourquoi laisse-t-on à quelques enfants ou à quelques femmes seulement le soin d’y assister ? »

La forte présence des passementiers à Sainte Sigolène doit sûrement jouer dans cette démobilisation ; l’agriculture n’est plus au début du XX ème siècle que l’activité complémentaire de la majorité des Sigolénois.
Au milieu  du XIX ème siècle, les dévotions s’orientent vers le culte christocentrique et eucharistique.

 



B- Le renforcement du culte eucharistique



Alors qu’au début du XIX ème siècle, les croyances étaient imprégnées par le théocentrisme, au milieu du siècle, une orientation christocentrique se fait jour. Ce courant « s’alimente à des sources diverses qui le revivifie après la phase de déclin marquée du temps des Lumières. »
La paroisse de Sainte Sigolène développe au cours du XIX  ème siècle les dévotions au Christ. En 1832, l’érection des Trois Croix au Calvaire symbolise un courant de piété, centré sur Jésus-Christ et son Sacrifice.
Le succès de la dévotion au chemin de croix, dont les exercices permettent de revivre la Passion du Christ, illustre bien ce phénomène. Le 26 octobre 1850, un délégué de l’évêque du Puy « érige le Chemin de la Croix dans la salle de l’école du village de Révéroles. »
L’autre aspect de ce catholicisme transalpin est l’essor du culte du Sacré-Coeur dont la confrérie est fondée à Sainte Sigolène en février 1874 .

Le second trait particulier du christocentrisme tient dans le développement du culte eucharistique. Les saluts du Saint-Sacrement (expositions et bénédictions), le Fête-Dieu et l’adoration perpétuelle sont autant de dévotions qui marquent cette orientation christocentrique. Des bénédictions accompagnent la vie quotidienne du catholicisme rural.
A Sainte Sogolène : « outre les saluts et bénédictions du Saint-Sacrement de droit commun, il y a salut et bénédiction dans l’église paroissiale les jours suivants : le 8 décembre (fête de l’Immaculée Conception), le 24 mai (fête de Notre Dame auxiliatrice), le 23 janvier (fête des épousailles, après la messe de la confrérie de Saint Joseph),....  le 19 mars ( fête de Saint Joseph) et le jour de la fête de Saint François Xavier et de l’invention de la Croix. »
 
La procession de la Fête-Dieu est extrêmement populaire. Elle sanctifie l’espace paroissial : « Le premier dimanche (...), la procession passe par le chemin des Frères, des Sœurs de la Croix, revenant par la grande place en faisant le tour du bourg. » En juillet 1907, la mobilisation des confréries, patronages, ... procure à la Fête-Dieu un faste digne d’une grande cérémonie religieuse ; l’impact du visuel et du sensible incite les fidèles à plus de ferveur :

« Comme les années précédentes, les processions de la Fête-Dieu ont été dans la paroisse une grande manifestation de foi et d’amour. Toute la population y assisté avec un grand recueillement. (...) Sur tout le parcours, les rues étaient jonchées de fleurs et la façade des maisons admirablement  pavoisée. Aux endroits habituels, de superbes reposoirs avaient été dressés (...). Les congrégations au grand complet avec leurs bannières déployées étaient à leur poste d’honneur. Les Pénitents, les jeunes gens des patronages précédés de leur drapeau, entouraient le Saint-Sacrement et les hommes suivaient derrière le dais. Les jeunes filles chantaient de nombreux cantiques et les clairons et tambours des patronages, alternant avec la fanfare, faisaient entendre leurs plus beaux morceaux. »

La hiérarchisation des cérémonies du baptême et des funérailles par exemple montre que l’existence chrétienne n’est pas vécue uniformément par tous les paroissiens. Si le clergé s’attache à donner la même initiation religieuse à tous, entre les femmes et les hommes par exemple, il existe une manière différente de vive sa Foi.
 



C- Une même manière de vivre la religion ?



A Sainte Sigolène comme dans n’importe paroisse, le clergé s’est évertué à transmettre à tous la même instruction religieuse. L’imprégnation du catholicisme dans l’existence des habitants est très forte. Le bon chrétien doit suivre des normes et des cadres de pensée établis par l’Eglise. Entre la religion prescrite et la religion vécue, on perçoit cependant de nombreuses fluctuations ; si l’intériorisation de le Foi est propre à chaque individu, les comportements religieux peuvent différer selon le sexe, les générations, la classe sociale, la profession, voire le lieu d’habitat.

Malgré « le vent d’impiété qui souffle » en 1906, le curé Morel se félicite que « la paroisse soit restée foncièrement religieuse. Les habitudes de vie chrétienne s’y sont admirablement conservées. La prière, Dieu merci s’y fait chaque jour en famille, au moins le soir (...). Les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, source de vie extra naturelle sont très fréquentés ».
Le curé ne distingue pas plusieurs degrés d’observance religieuse de ses fidèles. Pourtant, Gabriel Le Bras note que des « solidarités contradictoires » existent même dans les paroisses les plus exemplaires. Pour l’histoire religieuse du XIX ème siècle, le dimorphisme sexuel est un phénomène incontestable. Michelet disait : Dieu a changé de sexe
. »
Au XIX ème siècle, l’Eglise compte sur les femmes pour rénover le christianisme après l’épreuve révolutionnaire. En 1801, l’abbé Jauffret publie Des services que la femme peut rendre à la religion et écrit : "Femmes, vous êtes responsables de la conversion de vos époux. » Dès le XIX ème siècle, se développe l’idée que les femmes pratiquent plus que les hommes. Pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres, en 1893, le curé Badiou reconnaît que 200 à 300 femmes participent aux vêpres aux côtés «d’environ 50 hommes ». Après la Révolution, une véritable identité religieuse féminine se forge et il est légitime de parler de féminisation de la piété.
Outre le dimorphisme sexuel, des conditions économiques, sociales expliquent les multiples façons de vivre la religion.

L’Echo paroissial atteste que le curé Morel entre en guerre contre le groupe de jeunes et les hommes à propos des cabarets, de la danse, de la bonne tenue à l’église, ...

L’introduction de la rubanerie, qui implique des rapports avec la ville plus portée au détachement religieux, a-t-elle provoqué uns scission entre la population agricole et les passementiers ? Avec la forte concentration de passementiers au début du siècle, il est intéressant de savoir si le repos du dimanche est strictement respecté. Au début du XX ème siècle, le clergé paroissial remarque que «le repos dominical est fidèlement observé par nos braves passementiers et ils sont bien rares ceux qui, de parti-pris, manquent la messe les jours où elle est d’obligation ».

Une étude permettrait probablement de discerner une géographie de la piété au sein des hameaux : l’existence d’une maison d’assemblée pourrait être par exemple un indicateur. L’Echo paroissial mentionne une pratique en usage à Reveyrolles :

« Dès que le prêtre portant le Viatique aux malades, apparaît au loin, la petite cloche de l’assemblée se met à tinter. Aussitôt, tous les habitants disponibles se réunissent près de la  maison du moribond et ils attendent  là le passage du prêtre pour y recevoir, à genoux, la bénédiction de Dieu. Ils pénètrent ensuite dans  la  maison et assistent pieusement à toutes les cérémonies ».

Garant de l’unité paroissiale et de l’observance des pratiques religieuses, le curé se demande « pourquoi ce qui se fait à Reveyrolles ne se ferait-il  pas partout ? » Dès lors « il somme instamment tous les paroissiens » de rétablir cet usage chrétien. Cette recommandation appuyée du pasteur montre que la paroisse est un tout : la Foi doit être vécue par tous et partout de la même manière.

La visée de l’Eglise est de christianiser la totalité de l’existence. L’essor des confréries et des œuvres paroissiales traduit  le besoin de solidarité des villageois et accroît la dévotion par la pratique des vertus chrétiennes.